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Pourquoi Dieu obéit-il à l’homme?

Avertissement: Cet essai est une exploration philosophique et conceptuelle du pouvoir, de l’obéissance, de la morale et des paradoxes de la souveraineté. Tous les termes — y compris «Dieu», «infrahumain», «crime idéal» et «hacking de la conscience» — sont employés dans un sens purement analytique et métaphorique. Le texte n’encourage, ne justifie ni ne promeut en aucune façon la violation de la loi, de l’éthique ou des croyances spirituelles. Il ne constitue ni une déclaration théologique, ni un manifeste politique. Son objectif est d’examiner les frontières du contrôle, de la subjectivité et de la liberté à travers le prisme de la théorie critique et de la réflexion philosophique. Tous les personnages, structures et entités symboliques décrits ici doivent être compris comme des éléments d’un cadre spéculatif destiné à interroger les présupposés de la civilisation moderne.

Synopsis

Pourquoi Dieu obéit-il à l'homme? Le paradoxe du surhomme obéissant

Synopsis

Thèse centrale

À l'ère des super-héros et de l'intelligence artificielle, nous créons des dieux mais exigeons leur soumission à la morale humaine. Le paradoxe est que la vraie liberté s'atteint non par l'ascension vers la puissance divine, mais par la descente vers l'état infrahumain — via le hacking de conscience et la sortie de la programmation morale. La formule s'énonce: «Tu peux être un dieu parmi les hommes, mais si tu ne deviens pas infrahumain, tu resteras à jamais un homme parmi les dieux».

Architecture du paradoxe

Les dieux domestiqués de la culture pop
De James Bond avec sa «licence de tuer» à Superman avec sa morale de boy-scout — la mythologie moderne regorge d'êtres omnipotents tenus en laisse. Marvel introduit les Accords de Sokovie pour contrôler les Avengers. Les gouvernements exigent la réglementation des super-héros. La société panique à l'idée d'un pouvoir incontrôlé.

La série The Boys expose cette peur: Homelander — copie de Superman sans conscience — devient l'incarnation du cauchemar du dieu psychopathe. Il démontre ce qui arrive quand le pouvoir divin se libère des contraintes humaines: la tyrannie sans possibilité de résistance.

L'infrahumain comme résolution
Le Surhomme nietzschéen transcende l'humain par l'ascension spirituelle. Mais c'est une demi-mesure — il reste lié aux valeurs, même auto-créées. L'infrahumain va plus loin : descendant sous le niveau moral, dans une zone où la distinction entre bien et mal ne fonctionne simplement pas.

«L'infrahumain peut activer et désactiver la conscience comme un outil. La conscience pour lui n'est pas un juge intérieur mais un paramètre ajustable selon la situation».

Ce n'est ni un psychopathe dépourvu d'empathie dès la naissance, ni un fou ayant perdu la raison. C'est un sujet opérationnel qui a hacké son propre firmware éthique. Il voit la conscience comme «firmware surchargé, installation du système de contrôle par l'éducation, le langage, la religion, le droit» — et la fait consciemment revenir à la version zéro.

La psychologie des dieux obéissants
Erich Fromm dans La Peur de la liberté a montré: les gens craignent la liberté plus que l'esclavage. La liberté exige la responsabilité de chaque choix. La soumission procure un confort psychologique — «je ne faisais qu'obéir aux ordres».

Foucault a développé cela à travers le concept de «corps dociles» : le pouvoir moderne ne contraint pas de l'extérieur mais programme de l'intérieur. Chacun porte son propre surveillant — la conscience comme panoptique interne. Même le Superman omnipotent reste emprisonné dans les maximes morales enfantines («ne tue pas», «aide les faibles»).

La société produit des surhommes gérables par l'éducation appropriée. Leur pouvoir divin est enfermé dans la conscience humaine — un lion élevé en cage ne sait pas qu'il est lion.

Hiérarchie des infra-êtres

L'essai propose une structure à trois niveaux :

Infra-humains — individus isolés tombés hors de la morale mais cachés parmi les gens ordinaires. Ils se déguisent en normalité tout en opérant depuis l'ombre.

Infra-héros — possesseurs de capacités ou ressources spéciales les utilisant au-delà des contraintes morales. Ozymandias des Watchmen, qui a commis un meurtre de masse pour le « bien supérieur » et a échappé au châtiment.

Infra-dieux — êtres au pouvoir divin complètement libérés de l'éthique. C'est le cauchemar ultime de l'humanité : force absolue sans conscience. Superintelligence artificielle sans valeurs intégrées. L'Antéchrist des textes religieux.

«Un infrahumain dans le corps d'un surhomme est une catastrophe».

Fondements philosophiques

L'essai synthétise plusieurs lignes de pensée :

Stirner et Nietzsche ont donné conscience de la possibilité de vivre au-delà de la morale mais n'ont pas montré comment sans autodestruction.
Bataille voyait dans la transgression une dissolution extatique — l'infrahumain la transforme en instrument froid.
Foucault a décrit les mécanismes de contrôle interne — l'infraanthropologie offre la technologie pour les hacker.
Fromm a démontré la peur de la liberté — l'infrahumain surmonte cette peur par la disparition du champ d'observation morale.

L'innovation est qu'ici s'offre non une philosophie de libération mais une ingénierie de conscience — technologie pratique pour sortir de la programmation morale tout en maintenant la fonctionnalité opérationnelle.

Conclusion provocatrice

Pourquoi Dieu obéit-il à l'homme? Non par nécessité mais par inévitabilité culturelle. L'humanité ne tolère pas le pouvoir incontrôlé. Nous exigeons de tout dieu la reddition : sois puissant, mais reconnais notre morale au-dessus de toi. Les dieux qui acceptent, nous les aimons. Ceux qui refusent, nous les démonisons.

Même la religion dote le Dieu omnipotent de qualités humaines — justice, amour, miséricorde. Le Christ est Dieu incarné se soumettant volontairement aux limitations humaines. Dans le développement de l'IA, toute l'énergie est dirigée vers l'AI Alignment — la tentative de faire servir le futur «dieu de la raison» aux valeurs humaines.

Mais l'infrahumain montre une troisième voie : ni dieu ni homme, mais ombre entre eux. Il n'a besoin ni de la soumission d'autrui ni de soumission à autrui. Sa liberté est absolue précisément parce que personne ne peut la fixer — il existe hors de la légitimation publique.

«L'infrahumain n'est pas morale mais manœuvre. Il est solution technique, hack, stratégie ne laissant aucune trace».

Question à méditer: Si chaque époque crée des dieux à son image, que dit de nous le désir de créer une IA omnipotente mais avec une laisse morale intégrée? Et l'infrahumain — invisible, amoral, insaisissable — n'est-il pas le vrai dieu de l'âge de l'anonymat et de la cryptographie, un dieu que nous avons créé mais refusons de reconnaître?

Le paradoxe du surhomme obéissant

Dans le mythe contemporain et la pop-culture, l’image d’un héros quasi tout-puissant, dont les capacités dépassent celles de l’homme, mais qui se soumet à un certain système, n’est pas rare.

L’exemple classique est celui de l’agent secret agissant au nom de l’État. Un tel agent est doté d’un droit «divin» à la violence — une «licence to kill» — et peut ainsi décider du sort des autres tout en restant l’instrument d’une volonté étrangère.

Sa force est immense, mais c’est une force contrôlée: le surhomme en lui sert l’autorité, il est fidèle au devoir, aime la patrie et les hommes. De la même manière, dans les univers de super-héros, les figures puissantes sont généralement liées par des obligations envers l’humanité ou l’État.

Ainsi, dans l’univers cinématographique Marvel, ont été instaurés les Sokovia Accords — un acte international de contrôle sur les Avengers. La raison de leur apparition est révélatrice: les gouvernements, inquiets de la «puissance incontrôlée des super-héros», ont exigé la régulation de leurs actions.

En termes simples, les sociétés craignent les dieux hors de contrôle. Si un héros possède des superpouvoirs, les hommes cherchent à le placer sous surveillance — que ce soit par un organe d’État, un code d’honneur ou un principe moral.

À l’inverse, certains personnages échappent au contrôle du système et se transforment alors de héros en menace. Dans le comics Civil War, une partie des Avengers refuse de signer les décrets de régistration, devenant ainsi des justiciers hors-la-loi.

Le thème est encore plus vivement développé dans la série The Boys, où une équipe de simples humains lutte contre les «supers» — des super-héros corrompus qui ne se soumettent plus à aucune éthique. Le chef des «Sept», surnommé Homelander, copie délibérément l’apparence de Superman — cape aux couleurs du drapeau, sourire ostentatoire — mais derrière la façade du patriote se cache un psychopathe livré à l’arbitraire.

Il incarne le danger d’une force sans sanction: étant pratiquement invulnérable, il utilise ses pouvoirs «pour intimider et tuer ses adversaires» et s’est transformé en un «véritable méchant terrifiant».

Puisque personne n’ose contrôler ce faux «dieu», son pouvoir devient une tyrannie. Ainsi, la pop-culture trace deux catégories de héros surpuissants: ceux qui obéissent au système, que nous appelons des héros, et ceux qui échappent à tout contrôle, que nous appelons des monstres.

Philosophiquement, la situation du surhomme au service des hommes ordinaires est paradoxale. Le terme même de surhomme (all. Übermensch) remonte à Nietzsche et désigne un être ayant dépassé les limitations humaines, avant tout la morale du «troupeau».

Dans la pensée de Nietzsche, celui qui devient surhomme établit lui-même ses valeurs et ne suit plus les normes communes du bien et du mal. Comment se fait-il alors qu’un tel «dieu parmi les hommes» potentiel demeure un instrument docile de l’ordre humain?

La raison en est que la puissance physique ou intellectuelle ne rend pas encore l’individu véritablement libre du système. Le héros-génie de l’informatique ou le guerrier indestructible peut être lié par des fils invisibles de devoir, de peur ou d’interdits inculqués par l’éducation.

Il reste homme par la conscience morale, même s’il est devenu dieu par la force. Son programme intérieur continue de l’obliger à obéir — à un supérieur, à la loi, à l’impératif moral. Un tel «dieu serviteur» est un oxymore, une ironie vivante: un dieu qui obéit à l’homme.

Mais que doit entreprendre un tel être extra-moral pour devenir véritablement libre?

Ma thèse résonne de manière paradoxale et poétique:

Tu peux être un dieu parmi les hommes, mais si tu ne deviens pas un infrahumain, tu resteras à jamais un homme parmi les dieux.

En d’autres termes: tu peux atteindre une puissance surhumaine, mais sans dépassement de la morale humaine, tu n’es qu’à moitié divin. L’absence de liberté intérieure transforme le titan en serviteur parmi les nains.

Dans mon essai philosophique InfraHuman, une telle hybridité est décrite comme une division en deux parties — l’intellectuelle et la morale. Le criminel idéal se présente comme un «génie agissant hors morale», en qui «sur-raison + infra-conscience = idéalité».

Ici, la «sur-raison» correspond à la capacité du génie ou du surhomme, et l’«infra-conscience» à la capacité de désactiver la conscience morale. Si l’individu ne possède que la première moitié (la sur-raison) sans avoir conquis la seconde, il restera simplement un homme parmi les dieux — parce qu’il demeure limité par le firmware éthique humain.

De nombreux héros fictifs en donnent l’illustration: ainsi Superman, doté d’une force «divine», reste un garçon-scout noble et obéissant, agissant selon les règles de la société. Il est un dieu parmi les hommes, mais ne franchit pas la frontière au-delà de laquelle il deviendrait plus qu’un homme — il ne trahit pas la morale humaine.

Au final, les hommes voient en lui plutôt «l’un des leurs» — le plus fort des hommes — qu’un dieu étranger. Le surhomme, qui reste volontairement dans la cage de la morale, demeure un homme dans son essence. Pour cesser de l’être, il ne suffirait pas de surpasser les autres par la force ou l’intellect — il lui faudrait franchir une frontière intérieure et devenir celui que j’appelle l’infrahumain.

L’infrahumain comme Homo Transgressivus

Le terme «infrahumain» a été introduit par moi pour désigner un être qui est sorti radicalement hors de la morale, mais sans tomber dans le non-sens du chaos — en accédant à une nouvelle subjectivité.

Si le surhomme de Nietzsche est l’homme devenu «sur-» grâce à la puissance ascendante de l’esprit, l’infrahumain est l’homme devenu «infra-», c’est-à-dire descendu en dessous du niveau moral de l’humain, trop humain, dans le domaine hors bien et mal.

Cependant, il est essentiel de comprendre: l’infrahumain n’est pas simplement un méchant amoral ou un dément. C’est un sujet opératoire, un ingénieur par rapport à lui-même et aux limites du permis. L’infrahumain accomplit la transgression (la violation de l’interdit) non pas de manière spontanée, mais de façon consciente et maîtrisée.

Là où les rebelles classiques faisaient exploser les fondements et se détruisaient eux-mêmes, l’infrahumain étudie les frontières et les traverse en silence. «La transgression chez l’infrahumain, c’est “utiliser sans troubler”» — elle cesse d’être une fulgurance pour devenir un instrument.

L’infrahumain agit à l’intérieur du système, mais n’y appartient pas. Il sait utiliser la norme comme un tunnel, comme une ombre — c’est-à-dire s’y dissimuler tout en restant un transgresseur invisible. Sa devise: ne pas briser les règles — les contourner. C’est pourquoi l’infrahumain «n’est pas classifiable, et donc n’est pas contrôlable».

La vie de l’infrahumain se déroule «dans une frontière fluide permanente — entre le permis et l’interdit». Il n’est pas «au-delà» de la société (comme un fou ou un paria), mais dans la fissure de la norme — parmi les hommes, mais sous la forme d’un invisible.

Il est une étrange variété de super-héros. Son principal super-pouvoir est la flexibilité de la conscience. Il «est capable d’activer et de désactiver la conscience comme un instrument». La morale, pour lui, n’est pas un juge intérieur, mais un réglage que l’on peut modifier selon la situation.

J’appelle cela le «hacking de la conscience» — le piratage de ce programme intégré que nous considérons habituellement comme la voix de la loi morale.

En somme, l’infrahumain a acquis l’art de programmer ses propres dispositions éthiques. La conscience devient pour lui une sorte de code informatique que l’on peut éditer: il (l’infrahumain) considère que la conscience est un code susceptible de hacking. Il ne s’agit pas d’une négation totale du bien et du mal — mais plutôt de l’idée que l’éthique devient un instrument que l’on peut consciemment désactiver ou reconfigurer selon la nécessité.

Il est important de souligner: l’infrahumain n’est ni un animal, ni un fou ayant perdu la raison. Au contraire, il est caractérisé par la sur-raison du génie ou, disons, du stratège froid.

Dans mon projet, l’infrahumain est une sorte de «criminel idéal», capable de franchir n’importe quelle loi sans se briser intérieurement sous le poids de la culpabilité ou du repentir.

Il est un hybride de génie et de cynique, doté d’une «infra-conscience», c’est-à-dire de la faculté de réprimer consciemment en lui les réflexes moraux imposés. On peut dire que l’infrahumain est un hacker de lui-même. Il voit le «Moi» humain comme un système d’exploitation, dans lequel la conscience n’est qu’une application, un ensemble de «règles du jeu» installées par la société.

Et il pirate ce système: «le hacking travaille sur la conscience, la culpabilité, le surveillant intérieur, la peur de l’interdit», en supprimant de son «code» tous les dispositifs de limitation.

«Au lieu d’une philosophie de la morale — une ingénierie de la conscience» (essai InfraHuman). En somme, l’infrahumain préfère ne pas théoriser sur le bien et le mal, mais entreprendre une reprogrammation pratique du noyau éthique de la personnalité.

La conscience, pour lui, n’est pas un don éternel venu d’en haut, mais un «firmware surchargé, non pas un instinct naturel, mais une installation du système de contrôle, implantée par l’éducation, la langue, la religion, le droit».

L’infrahumain ose restaurer ce firmware à sa version zéro — retrouver une liberté pré-morale tout en conservant la raison acquise. C’est cela la transgression maîtrisée — un franchissement de l’interdit consciemment conçu et entraîné, où le sujet demeure intact.

C’est précisément cette conservation de soi qui distingue l’infrahumain de toutes les figures précédentes de la révolte. Bataille voyait dans l’extase criminelle une perte sacrificielle de soi, Foucault — la disparition du sujet à la limite de l’expérience, Žižek — l’inévitable capture de la révolte par le piège de l’ordre symbolique. Dans toutes les théories classiques, «la transgression est hors morale, mais avec culpabilité» et conduit à la dissolution ou à la mort du sujet.

L’infra-anthropologie propose au contraire un scénario plus optimiste: la transgression peut être accomplie sans destruction de la personnalité. Le sujet peut «entrer dans la zone interdite et en sortir sans dissolution de la personnalité», en demeurant maître de lui-même.

L’infrahumain ne craint pas la subjectivité. Il construit au contraire un sujet hyperconscient — il recrée son Moi, libéré des tabous mais doté de volonté et de raison. C’est véritablement un nouveau type d’existence: un sujet hors morale, mais avec une volonté opérationnelle.

Il ne souffre pas de la liberté, comme l’homme ordinaire, mais apprend à l’utiliser comme un instrument. L’infrahumain n’est ni un héros ni un monstre, mais un explorateur des limites. Il ne cherche pas à détruire le monde ni à le transformer ouvertement — il tente de vivre discrètement entre les mondes, là où un seul pas hors du champ moral donne un avantage incroyable sur tous ceux qui restent liés par les normes.

Hiérarchie des infra-êtres et pouvoir hors morale

Si l’on imagine un monde entier peuplé de tels infrahommes — des êtres hors morale et hors de la personnalité traditionnelle — à quoi ressemblerait-il?

Avant tout, les fondements habituels du pouvoir y disparaîtraient. La personnalité, entendue comme un ensemble stable de convictions, d’attachements, de principes, est en grande partie le produit de l’éducation morale et de l’interaction sociale.

L’infrahumain efface ou masque consciemment sa personnalité, devenant une sorte «d’exception qui s’exclut elle-même». Il ne cherche ni à obéir, ni à dominer ouvertement — il agit par nécessité, en joueur dissimulé.

Si plusieurs de ces joueurs apparaissent (par exemple, une coopération de génies criminels), leurs relations ne se structurent pas selon les lois de l’amitié ou de l’inimitié au sens humain (car l’amitié suppose confiance et valeurs morales, tandis que l’inimitié implique des antipathies idéologiques ou émotionnelles).

Les rapports des infra-êtres ressembleraient plutôt à une stratégie froide: alliances temporaires par calcul, trahisons perfides sans remords, manipulations et accords dépourvus de sincérité.

Le pouvoir dans une communauté d’inframhommes appartiendrait probablement au plus rusé et au plus dissimulé — à celui qui saurait utiliser les autres tout en demeurant invisible. Car l’infrahumain est plus fort tant qu’il n’est pas démasqué; si les autres découvraient ses véritables intentions, ils emploieraient contre lui des méthodes symétriques. Cela rappelle fortement les structures hiérarchiques multiples — la criminalité organisée, la politique, les cultes religieux.

D’une certaine manière, l’image d’un monde d’infra-êtres existe déjà dans notre culture: c’est le monde des dieux de l’Antiquité et celui des mythes. Aux yeux des hommes, les dieux antiques étaient amoraux: capricieux, jaloux, menteurs, enclins aux complots.

Aucun d’eux n’était saint ni irréprochable selon les critères humains. Pourtant, ils avaient leur propre hiérarchie, fondée sur la force et sur les accords. Le dieu suprême (Zeus, Odin, etc.) maintenait son pouvoir davantage par un équilibre de crainte et de ruse que par une autorité morale. En réalité, le panthéon était une oligarchie d’infra-entités, où chacun était puissant et où personne ne pouvait être digne de confiance.

De la même manière, on peut imaginer un «infra-État» — une société où règnent des surhommes froids, dépourvus de morale. Comment maintiendraient-ils l’ordre? Peut-être de façon purement technologique — par un contrôle total, le chantage, la neutralisation des indésirables.

Hors personnalité — donc sans ambitions personnelles au sens habituel — mais demeure la volonté de puissance, entendue comme l’aspiration à réaliser ses objectifs de la manière la plus efficace. Une telle volonté, libérée de la conscience morale, pourrait mener soit à une guerre éternelle de tous contre tous, soit, au contraire, à une tyrannie paradoxalement stable, où l’élite des infradominants place les autres devant l’alternative: soit vous obéissez en échange de certains avantages, soit c’est la destruction.

Dans un tel infra-société, il n’existerait pas de notion de légitimité, car la légitimité du pouvoir est une convention fondée sur une reconnaissance partagée (par exemple le droit moral du souverain ou la loi). L’infradominant n’a pas besoin de reconnaissance — il lui suffit du fait de sa supériorité.

L’exemple le plus proche peut être celui de la communauté des clans mafieux: la mafia possède ses propres «codes» (code d’honneur), mais vis-à-vis du monde extérieur, elle est amorale. À l’intérieur, la hiérarchie repose sur un équilibre de peur et d’intérêt, et le «don» suprême n’est pas le plus vertueux, mais le plus calculateur et impitoyable.

Si l’on tente d’imaginer des niveaux d’infra-êtres, on peut parler:

des infra-hommes (individus isolés, sortant de la morale mais dissimulés parmi les hommes),

des infra-héros (des êtres dotés de capacités ou de ressources particulières, qu’ils utilisent hors de toute contrainte morale — par exemple un milliardaire impitoyable, un dirigeant de l’ombre, un terroriste génial et insaisissable), et enfin,

des infra-dieux — des êtres possédant déjà une puissance véritablement divine, mais absolument détachés de toute éthique.

Cette dernière catégorie est la plus effrayante que l’imagination humaine puisse concevoir. C’est précisément la peur d’une force absolument autonome qui est à la base de nombreux mythes. L’«Antéchrist» apocalyptique dans la religion, l’Intelligence Artificielle impitoyable dans la science-fiction, le maniaque tout-puissant qui veut détruire le monde — toutes ces figures inspirent la terreur parce qu’elles montrent une puissance sans conscience.

Dans la vie ordinaire, l’homme espère toujours que même l’être le plus puissant obéit «au fond de lui» à quelque chose — à la loi, au sentiment moral, à Dieu… Mais l’infra-dieu n’est le serviteur ni de Dieu ni de l’homme. Il est un maître qu’aucune force extérieure ni intérieure ne peut dompter.

Une telle figure est généralement pensée comme le mal absolu — car, de notre point de vue humain, il n’existe pas d’autre façon d’évaluer un sujet puissant et amoral. Pourtant, du point de vue de ce dernier, les catégories du bien et du mal n’existent tout simplement pas. Nous touchons ici de près à la psychologie de la soumission et aux raisons pour lesquelles les hommes ne tolèrent pas les dieux qui refusent de leur obéir.

Bien entendu, je ne décris pour l’instant qu’une théorie linéaire de la perception des niveaux d’infra-existence. L’infra-anthropologie de l’avenir devra aller plus loin et étudier les infrahommes comme les infradieux dans les formes les plus incroyables de leur infra-être. Dans le prochain essai, «Infra-État», je me propose de décrire tout un écosystème d’interactions entre les infrahommes.

«Je n’ai fait qu’obéir aux ordres»

Du point de vue de la psychologie humaine, la liberté totale est souvent une chose insupportable. Comme l’a souligné le philosophe et psychologue Erich Fromm, les hommes craignent fréquemment la liberté et cherchent à y échapper.

La liberté effraie par la responsabilité qu’elle implique. Dans son ouvrage La peur de la liberté (Escape from Freedom), Fromm décrit les mécanismes par lesquels l’homme se dérobe au fardeau de la liberté — l’un d’eux est l’autoritarisme, c’est-à-dire le désir de se soumettre à un pouvoir fort ou, à l’inverse, de devenir lui-même ce pouvoir.

En obéissant, l’individu se décharge en quelque sorte de la responsabilité de sa vie: on décide pour lui, on lui dicte ce qu’il doit faire, et cela le rassure. Le pouvoir, à son tour, peut aussi être une forme de fuite devant la liberté: l’homme de pouvoir se cache de l’angoisse existentielle derrière la grandeur de sa fonction, les insignes, les ordres qui confirment son importance. Le subordonné et le tyran représentent deux faces d’une même médaille: le refus de reconnaître la liberté individuelle et la recherche d’un refuge dans la structure domination-soumission.

Il en résulte une dynamique paradoxale: les hommes veulent des leaders puissants, presque des «dieux» par leur autorité, mais en même temps ils souhaitent que ces leaders agissent de manière prévisible et dans le cadre d’un ordre moral intelligible.

L’homme dit en quelque sorte à la sur-essence: «Je te donnerai le pouvoir sur moi, mais toi, en échange, agis selon mes règles.» Ce pacte tacite est à la base de nombreux ordres sociaux — de la monarchie aux institutions démocratiques.

Un roi ou un président peut détenir un pouvoir immense, mais il n’est légitime que tant qu’il respecte un certain contrat social, des valeurs, des traditions. Même un dictateur ressent généralement la nécessité de justifier ses actes par une loi supérieure — qu’il s’agisse de la volonté du peuple, d’une théorie raciale ou d’une providence divine. Un pouvoir totalement incontrôlé, c’est le cauchemar et le chaos.

Michel Foucault a montré dans ses recherches que le pouvoir moderne est devenu bien plus subtil que la violence directe: il cherche à s’infiltrer à l’intérieur de l’homme, à lui apprendre à se contrôler lui-même.

Par la discipline, les normes, l’éducation, le pouvoir a créé des «corps dociles» — docile bodies — qui font «ce qu’il faut» sans même y être contraints.

Chacun de nous porte en lui son propre surveillant — conscience, honte, sens du devoir. C’est ainsi que les surhommes, élevés dans la société, ne songent souvent même pas à se soustraire à l’obéissance: leur volonté est apprivoisée de l’intérieur. Un lion élevé en captivité ignore tout simplement qu’il est un lion.

Même si l’homme est plus fort que n’importe quelles chaînes, il peut rester prisonnier de ses convictions. Le même Superman tout-puissant a absorbé dès l’enfance de simples maximes morales («ne tue pas», «aide les faibles») — et cette discipline intérieure est pour lui plus forte que la kryptonite.

Foucault décrivait le modèle de la prison idéale — le panoptique, où le détenu se comporte bien même si le surveillant ne le regarde pas, parce qu’il suppose une observation permanente.

La conscience est précisément un tel panoptique à l’intérieur de l’esprit. Il en résulte que la société peut obtenir un surhomme idéal et contrôlable simplement en l’élevant correctement: ainsi aucune révolte ne lui viendra à l’esprit. La liberté ne sera pour lui ni un doux don, mais une peur interdite.

Cependant, il y a toujours ceux qui tentent de forcer cette cage intérieure. Georges Bataille voyait le salut dans l’expérience extatique de la transgression du tabou — fût-ce au prix de l’autodestruction du sujet. Les situationnistes ou certains existentialistes célébraient la révolte spontanée, le saut irrationnel dans l’abîme de la liberté.

Mais le résultat fut souvent tragique: le sujet détaché de la morale sombrait soit dans la folie, soit dans la criminalité asociale, et la société l’isolait ou l’anéantissait rapidement.

La psychologie montre que la désensibilisation totale de la morale est traumatisante pour l’homme ordinaire. Pour tuer une première fois, même un soldat a besoin d’un conditionnement idéologique ou psychologique intense; pour tuer froidement de manière répétée, il faut soit une structure psychique particulière, soit un entraînement méthodique à l’émoussement de l’empathie.

Ce dernier point, d’ailleurs, est pratiqué: les armées et les services spéciaux développent des programmes où l’inertie morale est surmontée par des exercices — une sorte de «training éthique» inversé — un «hacking de la conscience». Ce sont déjà là des éléments de la technologie de l’infrahumain: apprendre à transgresser les interdits sans le sentiment paralysant de culpabilité.

L’infra-éthique — c’est ainsi que l’on peut nommer l’ensemble des règles de comportement amoral qui, paradoxalement, servent un but stratégique supérieur.

La soumission reste une position psychologiquement confortable. Comme l’écrivait Fromm, «au moment où l’homme se débarrasse de la liberté et se confie au pouvoir, il se libère aussi du doute». Le choix libre est douloureux, car il implique toujours l’incertitude et la culpabilité de l’erreur; mais si «je n’ai fait qu’obéir aux ordres», la conscience est tranquille.

C’est pourquoi beaucoup préféreraient que même Dieu se comporte comme un chef sévère mais compréhensible, donnant des ordres clairs. La confrontation avec un Dieu absolument libre, sans mesure, effraie bien davantage que la soumission à un tyran. Ici se révèle une peur profonde devant la force autonome — qu’il s’agisse de la force d’un autre homme, de l’État ou, plus encore, du surhomme.

Héros, infrahumain, catastrophe: formules de soumission et de révolte

Dans les codes culturels, on peut observer de curieux contrastes, qui reflètent l’attitude face au lointain, à l’étranger, à l’incontrôlable.

Je résume cette différence par un aphorisme:

Le romantisme — c’est l’amour du lointain, Le patriotisme — la haine du lointain.

Autrement dit, le romantique est attiré par l’inconnu, l’altérité — il aime ce qui se trouve au-delà de l’horizon (les idéaux, les pays étrangers, le cosmos, l’avenir). Le patriote, lui, célèbre le proche — la patrie, sa culture — et déteste souvent tout ce qui est étranger, lointain.

Cette formule est intéressante car elle révèle que l’amour peut facilement se transformer en haine, dès que l’objet cesse d’être «le nôtre». Tant que le surhomme (ou l’agent des services secrets) sert «les siens» — le peuple, l’État — il est exalté comme un héros. Mais qu’il parte trop loin, qu’il devienne étranger par ses valeurs, et l’amour d’hier se retourne en peur et en haine.

Il en découle la formule tripartite suivante:

Le surhomme soumis — héros. Le surhomme hors morale — infrahumain. L’infrahumain dans le corps du surhomme — catastrophe.

Dans le premier cas, il s’agit du même Superman ou, par exemple, de l’image de Captain America — un individu puissant, mais respectueux de la morale et des ordres, perçu comme un héros positif, un sauveur. Dans le second cas — si l’on imagine un surhomme amoral — on obtient précisément l’infrahumain, c’est-à-dire un méchant potentiel, tapi dans l’ombre et agissant avec prudence.

De tels personnages ne manquent pas non plus: par exemple Ozymandias, dans le comics Watchmen — un génie ayant commis un crime atroce (un massacre) au nom du «bien commun» et resté libre parce qu’il a su tout arranger dans l’ombre. Il est un surhomme par l’intellect, ayant franchi les limites de la morale traditionnelle, autrement dit déjà un infra-héros.

Enfin, la troisième partie de la formule met en garde: si l’on combine une force colossale et une amoralité totale affichée, on obtient un monstre d’échelle apocalyptique. Homelander, de The Boys, mentionné plus haut, en est précisément l’exemple: un infrahumain dans le corps d’un dieu, et cela se termine en catastrophe pour tous ceux qui l’entourent. Les hommes peuvent tolérer un méchant caché ou un héros contrôlé, mais un dieu ouvertement incontrôlable plonge le monde dans l’effroi.

Dans les légendes, les récits et les contes, revient souvent le motif: «à grand pouvoir doit correspondre une grande responsabilité». C’est en quelque sorte une formule morale par laquelle la culture apprivoise ses créatures quasi divines. Nous sommes prêts à pardonner au héros toute puissance, pourvu que nous sachions qu’il est responsable — c’est-à-dire qu’il s’impose volontairement les limites de la morale.

Mais si la puissance n’est pas accompagnée de responsabilité, elle est perçue comme le mal incarné. Même un être puissant neutre, non hostile à notre égard, nous cherchons à l’enfermer dans des cadres éthiques intérieurs, autrement l’inconnu de ses intentions provoque une inquiétude insupportable.

D’où la récurrence de ce scénario où le sur-être traverse l’épreuve de l’humanité: le robot surpuissant acquiert une «âme» et suit des principes moraux, l’extraterrestre venu d’ailleurs nous observe et adopte un code d’honneur, la créature magique est liée par l’obligation de ne pas intervenir directement.

Dans le cas contraire, si la morale ne s’enracine pas, l’imaginaire collectif s’attend au désastre. Ce n’est pas un hasard si le genre dystopique s’articule souvent autour de la figure d’un super-souverain dépourvu de morale: qu’il s’agisse d’une intelligence artificielle glaciale ayant usurpé la Terre, ou d’un homme-dieu muté ayant asservi les autres. Dans ces mondes sombres, nous voyons la projection de la maxime: le pouvoir absolu corrompt absolument, et le pouvoir absolu sans conscience corrompt instantanément et jusqu’à l’extrême.

Du point de vue de la psychologie des masses, il est vital pour les hommes de croire que même Dieu obéit — sinon à l’homme, du moins à la loi, à la morale, à quelque chose de supérieur. Lorsque Friedrich Nietzsche proclama «Dieu est mort», il voulait dire que les anciennes valeurs suprêmes s’étaient effondrées — mais il comprenait aussi que le vide laissé par Dieu conduisait soit à la naissance d’un nouveau culte destructeur de la force, soit au nihilisme.

La société ne supporte pas l’absence totale de contrôle sur la puissance. Ainsi, lorsqu’apparaît un nouveau sujet puissant, la première impulsion est de l’intégrer dans la hiérarchie. Qu’il soit à l’étage le plus élevé, certes, mais un étage tout de même — et non pas quelque chose hors de l’édifice.

Même la conscience religieuse, malgré la proclamation de l’omnipotence divine, attribue à Dieu un ensemble de qualités compréhensibles et précieuses pour les hommes: la justice, l’amour, la miséricorde. En réalité, nous exigeons que Dieu suive notre conception du bien. Un Dieu incontrôlable n’est déjà plus un dieu, mais le chaos, le diable.

Jésus-Christ, dans le christianisme, est l’incarnation d’un Dieu qui s’est volontairement soumis aux limitations humaines: il est né, il a souffert et «il a été obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix». Théologiquement, cela s’interprète comme l’humilité de Dieu et son amour pour les hommes. Mais psychologiquement, une autre chose importe: le Christ présente Dieu comme proche et obéissant.

Dans l’Évangile, le jeune Jésus «était soumis» à ses parents terrestres, plus tard il obéissait aux lois des Juifs (il observait les commandements, payait l’impôt à César, se présenta au tribunal et ne résista pas à l’exécution). C’est là un paradoxe profond: l’Omnipotent accepte d’être impuissant face à l’homme.

Pour les croyants, c’est une grande grâce; et pour la psyché culturelle, un immense soulagement. Un Dieu qui ne cherche pas à écraser la liberté de l’homme, qui ne détruit pas l’ordre moral familier — un tel Dieu est sans danger (il est, en somme, «domestiqué»).

Nicolas Berdiaev remarquait que la représentation de Dieu comme d’un despote exigeant une soumission servile est étrangère au véritable christianisme: au contraire, «Dieu a appelé l’homme à une activité libre et créatrice, et non à une obéissance formelle à Son pouvoir». Cela signifie que, dans le dessein même du Créateur, il y a la limitation de Sa toute-puissance au nom de la liberté de la créature. Dieu obéit en quelque sorte à Son propre amour pour la liberté de l’homme.

Un autre exemple — les dystopies consacrées à l’intelligence artificielle. Si l’on créait un superordinateur capable de s’améliorer lui-même, il deviendrait rapidement pour nous une sorte de divinité — par son intellect et par son influence. Déjà aujourd’hui, les futurologues et les scientifiques tirent la sonnette d’alarme: «de nombreux chercheurs affirment qu’une IA surhumaine pourrait détruire l’humanité si elle n’est pas correctement alignée sur nos valeurs».

Un domaine entier est en cours de développement — l’AI Alignment, dont l’objectif est de contraindre la machine supra-intelligente à respecter les valeurs et les finalités humaines. En d’autres termes, nous cherchons à nous protéger à l’avance et à exiger du futur «dieu de la raison» qu’il nous serve ou, au minimum, qu’il ne nous nuise pas.

Nous lui écrivons les «Trois lois de la robotique» (comme l’a fait Asimov), nous construisons des restrictions, nous lui simulons une conscience. Tous ces efforts répondent à la même peur fondamentale: un dieu incontrôlable. L’humanité préfère ne pas créer d’IA puissante plutôt que de la créer sans «la laisse autour du cou».

Même dans la vie quotidienne, cela se reflète: un grand talent, un génie suscite souvent la méfiance s’il est non-conformiste. La société repousse ou brise ceux qui sortent du cadre. Nous aimons les héros, mais nous aimons les tenir en laisse par l’opinion publique.

Qu’un idole trébuche — et on le «cancel», on le renverse. C’est une sorte d’apaisement rituel des divinités. Les rois antiques étaient divinisés, mais leur entourage même tissait contre eux des intrigues, cherchant à limiter leur arbitraire.

Le héros de bande dessinée doit avoir une faiblesse (son kryptonite), sinon le lecteur ne pourra pas s’identifier à lui — il deviendrait trop autre, trop lointain. Il faut toujours un trait équilibrant, qui rende le puissant vulnérable ou dépendant. Souvent, ce trait est la morale — comme un kryptonite intérieur, une garantie qu’«il est comme nous, simplement plus fort, mais au fond un homme».

Pourquoi Dieu obéit-il à l’homme?

Il ne le fait pas par nécessité, mais par une fatalité psychologique et culturelle. La société ne supporterait pas un dieu refusant de jouer selon les règles humaines — elle détruirait un tel dieu (le renverserait, le diaboliserait, l’oublierait), ou bien elle se briserait elle-même.

C’est pourquoi tout «dieu» — qu’il s’agisse d’hommes réels investis de pouvoir ou d’êtres fictifs surhumains — est contraint de s’inscrire dans le cadre imposé par la mesure humaine. Nous, les hommes, exigeons de toute puissance supérieure une sorte de reddition: sois grand, mais reconnais au-dessus de toi la morale, la loi ou notre intérêt. Les dieux qui acceptent cela, nous les aimons et les vénérons.

Nietzsche a dit: «Celui qui a un pourquoi de vivre peut endurer presque n’importe quel comment.» En paraphrasant pour notre sujet: si le dieu accepte de recevoir son «pourquoi» des hommes (leur but, leur valeur), les hommes supporteront n’importe quel «comment» — toute sa puissance et ses miracles. Mais si l’être suprême refuse de soumettre sa volonté à notre «pourquoi», il devient pour nous une menace chaotique.

Cependant, la figure de l’infrahumain révèle une autre possibilité — une existence qui échappe à la fois au pouvoir humain et au devoir divin. L’infrahumain n’est ni dieu ni homme, mais une ombre entre les deux, une figure de disparition, une exception idéale.

Il n’a besoin ni de soumettre les autres à lui-même, ni de se soumettre aux autres; il choisit la liberté absolue dans l’invisibilité. C’est un équilibre subtil, semblable à une particule quantique: dès qu’on tente de le fixer, il redevient soit un homme (lié à nouveau par les règles), soit il se croit dieu et fait s’effondrer le monde autour de lui.

L’infrahumain est un sujet qui disparaît, qui s’efface lorsqu’on braque sur lui le projecteur de la morale. Sa liberté est absolue précisément parce qu’aucun pouvoir ne peut la confirmer ni la réfuter — l’infrahumain vit hors de toute légitimation publique. On pourrait dire qu’il existe à la limite, là où la liberté touche au néant.

En ce sens, l’infrahumain est l’expérience ultime sur la nature de la subjectivité. Ce n’est pas simplement un nouveau masque du surhomme, mais un pas vers l’infra-ontologie — la pensée de l’être en deçà du niveau de l’entité personnalisée.

Si l’ontologie classique supposait un Moi substantiel et stable (l’homme, Dieu, l’idée), l’infra-ontologie parle de manœuvre et non d’essence. «L’infrahumain — ce n’est pas la morale, mais la manœuvre» (essai InfraHuman). Il est une solution technique, un piratage, une stratégie sans trace. J’y vois aussi une nouvelle espérance: l’homme est capable d’apprendre de l’abîme sans y tomber, de commettre le crime parfait sans s’autodétruire.

Peut-être que cette conception audacieuse est la réponse de la philosophie aux défis du XXIᵉ siècle, époque de contrôle total et en même temps d’anarchie totale dans le cyberespace. L’infra-ontologie prétend devenir «cette nouvelle ontologie de l’action qui a manqué à la philosophie après Nietzsche», en promettant d’intégrer la transgression dans la raison instrumentale.

Et pourtant, l’infrahumain ne doit pas nous tromper par son spectre de liberté. Il n’est ni un nouveau dieu ni un idéal à imiter, mais plutôt un spectre philosophique, une frontière de la pensée sur laquelle nous éprouvons jusqu’où peut aller la liberté humaine.

La société, bien sûr, préférerait que de tels spectres n’existent pas du tout — et c’est pourquoi, chaque fois qu’apparaît quelqu’un de «trop libre», les mécanismes de défense s’activent. On cherche à apprivoiser les dieux, à neutraliser les rebelles, et l’idée même de l’infrahumain — peut-être simplement à n’y pas croire.

Eh bien, mon rôle est de prévenir! Mais en tant que direction de pensée, l’infra-anthropologie est déjà tracée par moi. Elle nous oblige à regarder l’exigence habituelle d’obéissance sous un nouvel angle. Dieu obéit à l’homme non pas parce que l’homme est plus fort, mais parce que, sans cela, l’homme cesserait d’être homme — il se briserait sous le fardeau d’une liberté qui lui est étrangère.

Mais l’infrahumain, surgissant comme une ombre, rappelle qu’il existe une liberté au-delà, qui n’entre dans aucun «contrat». C’est un regard effrayant, fascinant et presque insaisissable vers un nouvel abîme — là où le sujet est à la fois son propre dieu et sa propre loi.

Un pas dans cette direction équivaut à une disparition, mais la conscience de cette possibilité élargit les frontières de l’esprit humain. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère philosophique, où les questions de liberté, de morale et de pouvoir seront envisagées à travers le prisme du hacking de la conscience et de l’ingénierie de la limite.

Peut-être est-ce précisément dans cette limite — lorsque l’ombre entre l’homme et le dieu prend voix — que l’humanité revoit à la fois sa propre nature et celle des forces auxquelles elle avait l’habitude de se vouer. Ce n’est qu’en prenant conscience de l’ombre de l’infrahumain que nous comprendrons pleinement la lumière du Dieu qui se soumet.

INFRAHUMAN PONT DESACRALIZATION